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L’université de Dakar, 33.00ème mondial

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PROFESSEUR LIBASSE DIOP, ANCIEN MINISTRE DE L’ENSEIGNEMENT SUPERIEUR
« En France, une thèse se fait en 3 ans, au Sénégal, en 7 ans »

 

La politique sénégalaise de l’enseignement supérieur n’a pas donné les résultats escomptés. Une situation qui découle des moyens insuffisants alloués au sous secteur. Financement, recherche, conditions d’études et d’enseignement, programme scolaire et universitaire, etc., l’ancien ministre de l’Enseignement supérieur, ancien Chef de département Chimie et Doyen de la Faculté des sciences et techniques de l’Ucad, diagnostique les maux de l’Université sénégalaise.

Qu’est-ce qui bloque notre enseignement supérieur ?

Dans les pays colonisés, le pourcentage de la population qui accède au Supérieur est relativement faible. Les Dragons asiatiques (Ndlr : Corée du Sud, Hong Kong, Singapour et Taïwan) ont commencé par faire de l’éducation une priorité nationale en construisant beaucoup d’écoles primaires, ensuite des lycées et enfin des universités. Et à l’Université, ils ont envoyé leurs meilleurs jeunes en Europe et aux Etats-Unis qui sont revenus pour prendre en charge le développement. Les universités malaisiennes n’ont rien à envier aux universités européennes ou américaines parce que les autorités de ce pays ont mis des moyens importants pour développer la recherche fondamentale par l’élaboration de la connaissance, mais également la recherche appliquée qui permet de faire des bonds en avant. Tout est question de connaissance.

Est-ce parce que nous n’avons pas ces connaissances ou parce que nous n’avons pas cette volonté politique ?

Il y a les deux. Nous n’avons pas le nombre suffisant pour faire ce travail de développement. Nous avons quelques ingénieurs, techniciens, mais il nous faut une masse critique pour y arriver. Pendant que les Malaisiens envoyaient leurs jeunes dans les universités occidentales, les Français, nos colonisateurs, eux occupaient les nôtres. Ils sont restés des années sans former un Sénégalais. On a africanisé les universités africaines, celle de Dakar notamment, très tardivement. La preuve, c’est que nous avons ouvert le Doctorant il y a seulement quelques décades. Le Professeur Souleymane Niang, (Ndlr : ancien Recteur de l’Université de Dakar) a été le premier africain à avoir son doctorat d’Etat à la Faculté des Sciences pendant que les Malaisiens en étaient déjà à un nombre important.

L’enseignement a-t-il pris le dessus sur la recherche ?

Il faut dire que nous sommes des enseignants-chercheurs. Mais on aurait pu nous appeler aussi des chercheurs-enseignants. Car nous passons le clair de notre temps à faire de la recherche. D’ailleurs, un professeur n’a que 5 heures de cours par semaine. Le développement est lié à la connaissance et les Anglo-saxons l’ont si bien compris qu’ils parlent de « Knowledge is power », c’est-à-dire que c’est par la connaissance que nous arrivons au développement et à l’émancipation politique, économique et même humaine.

Avons-nous vraiment pris en charge notre destin en main après le départ des Français ?

C’est un problème politique et ce sont eux (les dirigeants politiques) qui devaient savoir où ils veulent amener notre pays. Déjà, nous avons une conception assez malthusienne de l’éducation : non seulement ceux qui arrivent au baccalauréat ne sont pas nombreux, mais nous refusons de les prendre. Il ne faut pas oublier que les autorités n’ont pas su développer les infrastructures universitaires en fonction des besoins de la population estudiantine. Si tous ces paramètres sont au niveau le plus bas, comment peut-on développer un pays ! Il faut que d’ici 10 ans, nous voulons tant d’ingénieurs, tant de chercheurs etc. Mais pour y arriver il faut des structures pour les accueillir et les y former sur place ou alors les envoyer à l’étranger. C’est ce que le politique visionnaire doit faire. Aujourd’hui, nous formons des ingénieurs qui, malheureusement, n’ont pas de structures pour y travailler ou alors si elles existent ne disposent pas de moyens pour permettre leur épanouissement.

Que peut-on dire des conditions de travail des étudiants et des professeurs ?

Les étudiants que j’ai en thèse n’ont aujourd’hui aucun moyen de passer leurs échantillons dans les machines pour arriver à des résultats. Ce qui fait que nous sommes obligés de limiter le nombre d’étudiants pour mieux les encadrer. Nous envoyons les échantillons de nos étudiants en France par exemple pour recevoir les résultats des mois après. Vous vous rendez compte du retard que nous accusons ! C’est comme cela que nous travaillons. Il n’y a aucun moyen pour la recherche à l’université. En France, une thèse se fait en trois ans, alors qu’ici, c’est sur 6 à 7 ans. Ce retard dans les études induit le même effet sur le développement du pays.

L’université de Dakar, 3300ème mondial

Est-ce que vous en déduisez qu’il n’y a pas de politique de l’enseignement supérieur ?

Mais de politique, il n’y en a pas. Développer l’enseignement supérieur, c’est mettre à la disposition des chercheurs les moyens de leur épanouissement intellectuel. La différence entre l’université et le lycée, c’est la recherche. Le professeur de lycée prépare son cours à partir d’un manuel déjà existant, alors que l’universitaire, lui, doit lire mais surtout, donner aux étudiants de nouveaux éléments dans leurs cours. Il faut, donc, fournir des cours de haut niveau. C’est dans l’élaboration de nouvelles connaissances que les universités se dament le pion. Mais lorsque vous produisez une dizaine de publications, là où d’autres universités en font des centaines, vous ne pouvez pas figurer en bonne place dans le classement. C’est pourquoi l’université de Dakar est classée 3300ème dans le classement mondial. Ce n’est pas honorable comme rang. Nous faisons nos recherches sur la base de ce que nous quémandons. Ce n’est pas une bonne formule pour un pays qui veut développer la recherche. L’université de Dakar n’a pas beaucoup apporté par rapport au pays ce qu’elle aurait pu apporter.

Parmi les trois présidents sénégalais, Senghor, Diouf et Wade, quel est celui qui a le mieux fait pour l’enseignement supérieur ?

Senghor avait une conception noble de l’université. C’est un véritable intellectuel. La connaissance en tant que telle avait un sens pour lui. Senghor avait dit que tout étudiant qui s’inscrit en Sciences avait une bourse parce qu’il manquait de professeurs de sciences, des ingénieurs. Si on avait poursuivi cette motivation cela aurait donné de bons résultats dans le domaine de la Science.

Certains ont tout de même accusé Senghor d’avoir bloqué Cheikh Anta Diop. N’est-ce pas là un bémol à sa volonté de développer l’enseignement supérieur et la connaissance scientifique ?

Oui, mais c’est une conséquence d’une bataille politique. Il est vrai que cela a été un blocage pour Cheikh Anta qui a reçu, à cause de Senghor, pendant 25 ans, un salaire de Maître Assistant. C’est seulement quand Diouf est venu qu’il a été nommé professeur. Donc, Senghor aurait pu laisser Cheikh Anta tranquille et donner à l’université les moyens de sa politique. Il en aurait profité.

Cela ne s’est-il pas répercuté sur l’évolution de la recherche et le prestige de l’Ucad citée à un moment donné parmi les meilleures universités de l’Afrique de l’Ouest ?

Bien sûr. Si Cheikh Anta avait les moyens dès le départ, il aurait pu diriger les Africains et les former dans son domaine de compétences. On aurait pu également avoir un grand centre de recherche sur l’Egypte ancienne. Vous voyez un peu les résultats que cela aurait donnés. C’est l’année où il a ouvert le DEA qu’il est décédé. Et là, il faut le dire, nous avons loupé le coche. Malheureusement, il est parti avec sa connaissance. Combien de jeunes auraient pu en bénéficier ? Regardez ce qu’il aurait pu produire comme résultats scientifiques et le prestige qui aurait pu revenir aujourd’hui à l’université de Dakar ! Quelle perte ! Abdou Diouf, quant à lui ne piétinait pas la connaissance, même si c’est sous son règne que le budget de la recherche a été réduit. On ne peut pas dire que c’est quelqu’un qui poussait l’université dans le bon sens car, c’est avec lui également que le budget pour les ouvrages a disparu. Alors, pour le régime actuel, vous savez, Wade nous a profondément déçus. Senghor n’a jamais été professeur d’université, Abdou Diouf encore moins, mais Wade, lui, au moins l’a été. Donc, il connaît nos problèmes. Mais, on a l’impression que sa connaissance des problèmes de l’université l’a détourné de l’université. C’est quand même quand il arrive au pouvoir qu’il a les moyens de mettre en pratique certaines idées qu’il a toujours défendues. Mais qu’a-t-il fait pour l’université ?

Le Président déclare vouloir réhabiliter les mathématiques…

Mais le dire est une chose, le faire en est une autre. A-t-on donné des moyens aux professeurs ? A-t-on essayé d’intéresser les jeunes aux métiers de la Science. L’Institut de recherche en mathématiques (Irm) n’a aucun moyen. Vous ne créez pas assez d’universités pour recevoir ces futurs mathématiciens, des équipements pour leur application et vous dites que vous voulez promouvoir les mathématiques. Il y a très peu de gens qui vont en S1 alors que tout le monde sait que sans les maths, on ne peut pas prendre en charge la Science. Celui qui veut faire Médecine n’a pas besoin de maths de S1. Donc, il s’agit d’apprendre aux jeunes, les mathématiques dont ils ont besoin, la physique dont ils ont besoin, etc.

A vous entendre, vous semblez proposer la révision des programme au niveau secondaire ?

C’est exactement ce qu’il faut faire. Il faut revoir le programme du lycée. Ce qu’on donne à l’élève est excessif. Comment voulez-vous avoir un excellent mathématicien si l’élève passe plus de la moitié de son temps à apprendre l’Histoire et la Géographie ? En fait, nous sommes restés à la conception de Pascal : « Il vaut mieux connaître un peu de tout que tout d’une chose ». Aujourd’hui, il s’agit de connaître tout d’une chose, c’est-à-dire maîtriser son domaine. On a besoin d’excellents mathématiciens, d’excellents physiciens, d’excellents chimistes, d’excellents juristes, etc. Dans la série L2, littérature pure, l’élève peut avoir 1/20 au bac et être bloqué. Il échoue à son examen pour une telle note qui n’a pas un coefficient majeur. Je pense qu’il faut rendre cela facultatif. En France, l’Histoire et la Géographie sont facultatives pour la série S1. Il faut alléger les programmes du point de vue du nombre des matières et les renforcer les coefficients dans les spécialités.

Professeur, vous remettiez en cause le concept d’orientation dans un de vos articles publié par le journal Le Quotidien. Pouvez-vous revenir là-dessus ?

Oui, parce que sur la base des seules notes du baccalauréat, on ne peut pas savoir si l’élève est bon ou pas. Il y a des élèves qui sont moyens au lycée et qui deviennent excellents à l’université. Le contraire aussi est valable puisqu’il y a des Prix d’excellence qui « cartouchent (redoubler dans le jargon de l’université) » à l’université. Mais tout est question d’adaptation aux conditions d’études et à l’environnement. Il faut donc donner à l’élève la chance de passer un test dans la spécialité qu’il s’est choisi et non le bac qui est un ensemble de matières qu’il aime ou qu’il n’aime pas. Le fait de choisir son métier est plus motivant pour l’intéressé que lorsqu’on lui impose le choix. Il en a envie et c’est ce qui est important. Les étudiants envoyés dans des facultés qu’ils n’ont pas choisies ne peuvent pas réussir. C’est pourquoi je dis que je suis contre la notion d’orientation.

On leur laisse le choix, mais n’y aura-t-il pas un rush dans les différents départements alors qu’il n’y a pas suffisamment de places.

Il faut une relation de proportionnalité. S’il y a tant de lycées vous attendez tant de bacheliers et vous devez créer tant d’universités. Nous n’avons que deux universités fonctionnelles alors que le Maroc est à 15 et les bacheliers s’inscrivent là où ils veulent sauf à la Fac de médecine. Combien y a-t-il d’étudiants qui « cartouchent » au Sénégal, qui vont en France et y réussissent ? C’est parce que l’environnement a changé.

Propos recueillis par Hamath KANE

lagazette.sn

 

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