L’insécurité au Sénégal à qui la faute? ( Par Djibril Diop )

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A la suite de la série de viols et de meurtres ces dernières semaines au Sénégal, je reviens avec un texte que j’avais publié il y a quatre ans (2016) sur la même rubrique et dans les mêmes conditions émotionnelles face à cette barbarie primitive qui semble maintenant bien ancrée dans notre société, et qui à mon avis reste encore d’actualité face au contexte actuel.
 
Depuis quelques semaines, notamment depuis le meurtre du taximan dans une station d’essence à Yoff et surtout l’assassinat de la Vice-présidente du Conseil Économique, Social et Environnemental, Madame Fatoumata Mactar Ndiaye, en passant par la dizaine d’autres cas, à Dakar et dans l’intérieur du pays, le débat sur l’insécurité au Sénégal est devant de l’actualité, notamment pour ou contre le retour de la peine de mort contre d’éventuels auteurs de meurtre.
 
Ici nous tenons à apporter notre modeste contribution dans ce débat, qui nous semble aller dans une certaine confusion. En effet, très souvent on confond police et sécurité, et très souvent on met en avant le sentiment d’insécurité pour expliquer l’état réel de l’insécurité dans nos quartiers, villes et villages. De même, on met en avant le déficit de forces de sécurité (puisque les autorités s’en servent pour défendre leur politique et se barricader contre d’éventuels agresseurs) comme la principale cause de l’insécurité chez nous. Donc, par conséquent en mettant plus de forces de police (police et gendarmerie) on parviendra inéluctablement à juguler le phénomène. Enfin, pour d’aucuns aussi en appliquant la peine de mort contre les meurtriers, le problème sera inéluctablement réglé par la dissuasion auprès d’éventuels promoteurs de la violence.
 
La police est une technique assurée par des spécialistes formés à la tâche appelés policiers ou agents de police, alors que la sécurité est une science mise en application, par divers acteurs, qui, chacun dans son secteur bien déterminé, concourt à réduire un état d’insécurité, donc à tendre vers un état de sécurité qui est une absence de danger (quelle que soit sa forme). Ainsi, si l’on part de cette définition, les agents de police ou les policiers ne sont pas les seuls acteurs de la sécurité. Car, outres ces derniers ce sont aussi tous les autres acteurs non policiers (dont la population elle-même) qui concourent à l’établissement de cet état d’absence de danger. En conséquence, il ne serait pas pertinent de restreindre cette notion « sécurité » aux seuls acteurs policiers et ignorer une très grande majorité d’acteurs qui jouent pourtant un rôle indispensable dans le maintien de cet état d’absence de danger. Or, chez nous lorsque l’on pense ou parle d’une situation d’insécurité (donc de présence d’un danger) ou alors de sécurité (absence de danger), on tourne inévitable vers les forces de défense et de sécurité, à savoir les policiers et les gendarmes, qui rappelons le, jouent certes, un rôle important dans le maintien de la paix social, qui est l’une de leurs principales missions, mais ne sont pas les seuls acteurs.
 
Ainsi, il est temps, que chaque Sénégalais sache qu’il est d’abord sur la première ligne d’un état quelconque d’insécurité, et que sa partition est indispensable pour l’état d’absence de danger soit une réalité pour tous. D’autant plus que, même si le ratio des effectifs de nos forces de défenses et de sécurité est loin de la norme internationale (1 policier pour 500 habitants en temps trouble et 1 policier pour 1000 habitant en temps de paix), aucun gouvernement ne pourra mettre un policier (policier et gendarme) derrière chaque Sénégalais. Aussi, et surtout, en regardant de près tous les derniers meurtres, on se rend compte que dans plus de 90% des cas, le meurtrier est dans le cercle des intimes de la victime. Alors, comment la Police peut-elle régenter à elle seule les rapports sociaux dans l’intimité de chaque famille sénégalaise? Il est certes, nécessaire d’améliorer l’effectif et les moyens d’action des forces de sécurité et de défense, mais surtout il devient indispensable de repenser leur usage (emploi), notamment dans un contexte où l’urbanisation tend à prendre le dessus avec tout son corolaire (demande de logement, d’emploi…), la structure de notre population (où les jeunes domines alors qu’il y a peur de perspectives d’avenir pour eux…), les mutations sociales récentes qui bouleversent complètement la structure familiale et le mode d’encadrement et d’éducation des enfants et enfin, les relations souvent heurtées et teintées de méfiance et d’incompréhension réciproque entre les forces de sécurité et de défense et les populations.
 
Le deuxième point de mon intervention porte sur « le sentiment d’insécurité » pour expliquer les situations d’insécurité, ce qui ne correspond pas à l’état réel de l’insécurité dans nos quartiers, villes et villages. Il est vrai que la multiplication des meurtres et des agressions violentes ces derniers mois au Sénégal a présenté un déclic auprès de chez chaque Sénégalais. Car on n’était pas habitué à entendre dans une aussi courte période autant de violence (ignobles), surtout entre Sénégalais (hormis la période trouble de la Casamance et du conflit sénégalo-mauritanien d’avril 1989). Il est aussi normal que cela choque plus d’un. Cependant, est-ce vraiment la réalité de l’insécurité telle que décrite et relatée dans les journaux, radios-Tv et autres « Grand-Place » et salons du pays? Sans mettre en cause l’évolution et les nouvelles tendances, les statistiques policières présentent un autre visage du phénomène. En effet, selon les autorités policières, la criminalité au Sénégal est dans les limites du « contenable », malgré que ce le sentiment d’insécurité lui, ne cesse de croitre auprès des populations.
 
Le sentiment d’insécurité est le plus souvent lié à la forme urbaine le plus souvent. Or, au Sénégal, nous avons le plus souvent affaire à des villes non planifiées ou dont la planification a été reléguée au second plan pour d’autres considérations et dont la gestion pose d’énormes défis aux gestionnaires : ruelles impraticables, mal ou non éclairée, circulation difficile, avec des dépotoirs sauvages un peu partout, encombrements, indiscipline, un manque de maîtrise des dynamiques de la population résidentes, une non-participation réelle de la population dans la gestion de la cité et qui ne se sente pas concernée…Autant de défis, qui aujourd’hui sont complexifiés par les dynamiques internes de la ville elle-même, tant du point de vue économique, social et culturel, mais aussi environnemental. Ainsi, si un sentiment d’insécurité est ressenti chez une partie de la population dans toutes les villes du monde, mais les grandes villes qui ont réussi à juguler le phénomène ont d’abord agi sur la forme urbaine, avec des aménagements sécuritaires (l’urbanisme sécuritaire basé sur 6 critères).
 
Enfin, le troisième point de mon intervention porte l’application ou non la peine de mort contre les meurtriers. Car, pour certains, son application réglerait de manière définitive le problème par la dissuasion que cet acte provoquerait auprès d’éventuels prétendant à cette forme de violence. Sans entrer dans le débat religieux (application ou non de la Charia) de la légitimité ou non d’une telle action pour un pays qui se dit musulman à 95%, toutefois, nous pouvons dire que cette solution serait comme pelleter la neige devant comme le dit nos amis québécois. Car elle se présentera comme une solution qui ne s’attaque pas aux vraies causes de ce mal maintenant bien enraciné chez nous, en particulier sa jeunesse (nous avons noté que sur les 13 meurtres récences depuis fin octobre, les meurtriers sont âgés entre la vingtaine et la trentaine) et selon les statistiques policières les agressions sont commises par une population dont l’âge est compris entre 15 et 35 ans, en majorité. Si vraiment cette peine capitale serait dissuasive, pourquoi donc les jeune Sénégalais continuent de s’accumuler en Lybie et au Maroc pour tenter de traverser la Méditerranéen, malgré les milliers de morts chaque année depuis plus de 10 ans maintenant, alors que seulement une infime minorité arrive sur les côtes européennes?
 
Autrement dit, cette jeunesse n’a pas peur de la mort. Il y a des raisons (objectives ou subjectives, selon) qui poussent la jeunesse à vouloir coûte que coûte partir certes, malgré les dangers (notamment la mort), qu’elle mesure très bien. Pourtant, différentes politiques ont été mise en œuvre, mais elles n’ont pas permis de dissuader une partie de la jeunesse de partir (certes, souvent avec la complicité de la famille) qui continue de croire que son salut est de partir, sortir du pays pour « teki »; donc l’espoir qui alimente la tentation même si la mort peut être au rendez-vous. De même, il y a des raisons (objectives ou subjectives) qui sous-tendent cette montée de violence chez les jeunes en particulier, qu’il va falloir saisir pour mieux combattre le phénomène et que la peine capitale ne permettra certainement pas de régler comme une potion magique. En effet, devant la tentation que la société impose à ses membres pourquoi ne passeraient-ils pas passer à l’acte?
 
La structure et la dynamique de notre société appellent à une véritable introspection et à d’avoir une vision d’avenir de l’évolution de notre société dans un monde en perpétuel mutation, une vision de long terme, pour des questions aussi importantes que celles-ci pour l’équilibre et la bonne marche de notre communauté nationale vers l’émergence. En effet, les visions courtermistes ne donneront que des solutions éphémères pour une jouissance temporaire face à une réalité qui tôt ou tard nous rattrapera un jour. Notre société devient de plus en plus urbaine; ça c’est un fait. Notre population est très jeune et pour longtemps encore elle le sera; ça c’est un contact. Ces deux dimensions posent d’énormes défis qu’il va falloir saisir la portée pour mieux y investir pour un avenir de paix, de tranquillité et de sécurité (absence de danger).
 
Dr Djibril Diop
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Dr Djibril DIOP

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