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« Mon traumatisme avec l’excision »

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Victime de l’excision dans sa tendre enfance, Fatou Diatta alias Sister Fa ne veut plus qu’un enfant vive son calvaire. Artiste rappeuse à la base, la native de Thionck-Essyl, dans le département de Bignona, donne de la voix pour la promotion de l’abandon de cette mutilation génitale.

Qui est vraiment Sister Fa ?

Je m’appelle Fatou Madiang Diatta alias Sister Fa. Je suis artiste sénégalaise basée en Allemagne depuis 2005. Je viens au Sénégal pratiquement chaque année pour des tournées de sensibilisation avec des musiciens allemands. On sensibilise sur les droits humains et nous luttons pour l’abandon de l’excision. Donc, je suis artiste et activiste en même temps.

L’actualité pour vous, c’est la sortie de votre compilation en décembre. De quoi s’agit-il ?

C’est une compilation qui s’appelle  »Paix et Sécurité », qui est en quelque sorte le suivi d’un séminaire que j’avais organisé au mois de décembre dernier. J’avais invité des artistes de la sous-région, notamment du Burkina Faso, du Mali, de la Guinée, de la Gambie ainsi que des artistes sénégalais à cet atelier. C’était pour moi une façon d’inviter ces artistes et collègues à un débat sur la promotion des droits humains à travers l’art. C’était aussi une manière de les impliquer naturellement dans ce combat dans lequel je suis moi-même engagée. C’est ainsi que j’ai pensé mettre en œuvre cet album afin de matérialiser le travail qui a été fait avec le soutien du FNUAP (Fonds des Nations-unies pour la population).

Et pourquoi le titre  »Paix et sécurité » ?

Je pense que c’est avec la paix et la sécurité que nous allons arriver à résorber tous les problèmes que nous sommes en train de combattre.

Combien d’artistes ont participé à la compilation ?

C’est une quarantaine d’artistes qui ont donné de leurs voix dans cette compilation. Ils viennent d’horizons divers. Certains sont d’Allemagne, d’autres du Congo, de la Côte d’Ivoire. Il y a aussi des Sénégalais (Ndlr, dont Jojo du groupe Yat Fu, Drygon, Thiat de Keur Gui, Daddy Bibson, Matador).

Qu’est-ce qui explique votre engagement dans la lutte pour l’abandon de l’excision ?

Pour l’excision, je n’ai plus peur de le dire : j’ai été victime de cette pratique. Alors je me suis demandé pourquoi ne pas utiliser ma voix et la joindre à ce qui a été déjà fait par d’autres pour porter et appuyer le combat. Je n’aime d’ailleurs pas utiliser le mot combat. Je suis pour qu’on parle de la promotion de l’abandon de l’excision. En tant que porteurs de voix, nous ne devons pas nous contenter de chanter. L’art est une autre façon d’éduquer, de sensibiliser et de montrer des choses positives.

Il est maintenant possible de réparer le clitoris des femmes excisées. Vous en pensez quoi ?

Personnellement, je ne pense pas que je me ferai opérer. Parce que je suis encore traumatisée par ce qui m’a été fait. Donc, pour moi, l’heure n’est pas à la réparation mais plutôt à la prévention. Car il y a des dégâts plus profonds qui interviennent après cet acte. Il y a beaucoup de femmes excisées et atteintes de fistules obstétricales, surtout à Kolda, d’après les statistiques. Là, nous sommes plus concentrés sur la prévention que sur des réparations des dégâts qui causent d’énormes difficultés à la femme. Toutefois, je ne suis pas contre la réparation pour les femmes excisées qui en ont la possibilité et les moyens. On peut toujours réparer. Mais pour moi, pour l’instant, je préfère financer des établissements scolaires.

Vous avez dit que l’excision vous a traumatisée. Et comment ?

Ce que je trouve drôle dans cette histoire, c’est que je ne me rappelle pas l’âge que j’avais à cette époque. Je sais juste que c’est avant que je ne sois inscrite à l’école primaire. Je me rappelle le visage grave de ma mère qui me demandait de ne pas pleurer ; que si je le faisais j’allais déshonorer ma famille. Je me rappelle ces femmes balèzes qui m’ont prise de force. Je me rappelle ma douleur. Je me rappelle que le lendemain, je ne pouvais même pas pisser. Je me rappelle les chants qu’on nous a appris. Sur le coup, j’avais tellement mal que je croyais que ma mère me l’avait fait par méchanceté. Maintenant je comprends que non, elle l’a fait pour respecter une tradition, suivre un ordre social. C’était aussi une manière de me protéger contre notre propre société. Dans notre village, une fille qui n’était pas excisée était marginalisée. Alors si ma mère ne respectait pas la tradition, je n’allais pas pouvoir me marier ni préparer à manger à des personnes d’un âge avancé. C’était donc, vu sous cet angle, pour mon propre bien. Mais ces gens-là ne savent pas que ce qu’ils font a des conséquences graves. Ils le font par ignorance. Ils ont besoin de quelqu’un qui les aide à y voir clair.

Comment votre entourage a pris votre engagement contre l’excision ?

Ma mère est décédée avant que je ne commence la promotion de l’abandon de l’excision. C’est dommage. La vision de mon père sur l’excision, je l’ai su à travers un film documentaire dénommé Saaraba avec une chaîne new-yorkaise Link Tv. Il a été tourné à Thionck-Essyl, en 2010. (Mon père) me soutient. On a eu une déclaration d’abandon des femmes quand on est venus tourner le documentaire. On n’avait rien demandé, on était là juste pour sensibiliser et échanger avec elles. On leur a exposé les conséquences qui sont directement liées à cette pratique. Les femmes ont rejoint le mouvement et ont promis de nous aider dans la sensibilisation. Je ne sais pas si cela allait se passer de la même façon dans une autre communauté. Raison pour laquelle, quand je vais dans une zone pour une séance de sensibilisation, j’invite les artistes de la zone afin que le message passe mieux. Les gens se sentent interpellés quand ce sont des personnes qu’ils connaissent qui leur parlent.

Avez-vous créé une association ?

Non je suis artiste. Je refuse d’entrer dans ce carcan. Je veux rester Sister Fa. C’est avec la vente de mes CD et à travers les soirées de bienfaisance que j’organise que je collecte des fonds pour financer mon combat. J’ai gagné un très grand prix en Afrique du Sud Freedom to creat en 2011. J’ai utilisé la majorité pour financer la construction et la réhabilitation de certains établissements scolaires. Au mois de novembre passé, j’ai gagné le Adler awards de la diaspora allemande

Vous êtes apparemment plus connue à l’étranger qu’au Sénégal. Comment comptez-vous renverser la tendance ?

Mon premier album a été sorti à Dakar en 2005. J’ai voyagé juste après. Je viens ici très souvent. Il se trouve juste que je préfère travailler beaucoup et faire peu de bruit. Je gagne énormément de prix à l’étranger. Amnesty international m’a décerné un prix avec That matter movie film festival en 2011. Je ne suis pas de ceux qui viennent avec leur trophée dire que j’ai gagné telle ou telle autre chose. C’est un choix que j’assume. Peut-être qu’avec le temps, les gens verront d’eux-mêmes ce que je suis en train de faire.

A quand votre prochain album solo ?

Là, j’ai déjà fini avec mon deuxième CD en Allemagne qui est un live complet. Je ne sais pas si mon label Piranhia world music (Ndlr : l’un des plus grands labels de world music en Allemagne) va le sortir au Sénégal, mais je vais apporter des CD pour la famille et les amis. La sortie est pour bientôt.

Généralement au Sénégal, les filles qui font du hip-hop croient être obligées de s’habiller masculinVous, vous semblez plus porter l’habillement féminin et sexy. Pourquoi ce choix ?

Je me rappelle, une fois au Canada, on a montré mon film et on m’a demandé ce qui était ma particularité sur scène. J’ai répondu que je me mettais toujours en tenue traditionnelle avec une robe longue et une perruque afro. Ces filles-là n’ont pas encore compris qu’on n’a pas besoin de se vêtir comme un homme ou de parler comme un homme pour montrer ses qualités de rappeuse. J’étais dans le même lot quand j’étais ici. Je m’habillais comme un bad boy. Je suis devenue maman avec le temps. Cela m’a aussi un peu changée côté vestimentaire.

Que pensez-vous du hip-hop sénégalais ?

Ne me mettez pas en mal avec mes collègues. Bon, côté femme, ça ne bouge pas du tout. J’étais récemment en studio dans le cadre de la compilation  »Paix et Sécurité », j’étais des fois très agacée parce que ça n’allait pas du tout. Les filles sont restées là où elles étaient. Chez les hommes, ça va. Mais quand on n’achète pas les CD et que les concerts ne sont pas remplis, cela ne motive pas.

PAR BIGUÉ BOB ENQUETEPLUS.com

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