L’avènement d’une nouvelle alternance démocratique au Sénégal a créé beaucoup d’espoir dans le pays pour une prise en charge adéquate de la demande sociale. Toutefois, dans les orientations de la gouvernance actuelle, des alignements importants restent à faire pour rassurer les populations que les politiques publiques s’orientent réellement vers la satisfaction de leurs préoccupations. Il est de ce point de vue important de souligner que la bonne gouvernance ne se limite pas uniquement à la traque de biens mal acquis, mais également à mettre en place un ensemble de mécanismes qui concourent à renforcer la transparence dans tous les domaines. Dans ce papier je m’attèlerais à examiner quelques points, qui à mon avis, sont nécessaires pour implanter durablement la bonne gouvernance au Sénégal.
La réforme de la justice
S’il y a un point fondamental sur lequel tous les sénégalais attendent Macky Sall c’est la réforme et la clarification l’article 27 de la constitution, pour préciser la durée quinquennale de son mandat comme il l’a promis et défendu, son renouvellement et le renforcement des garde-fous autour de cet article pour qu’aucune interprétation fantaisiste ne puisse prospérer de nouveau. Cette disposition est très importante pour la stabilité de notre pays car il ne faut pas oublier que beaucoup de sénégalais ont perdu la vie en essayant de défendre son essence contre le pouvoir d’Abdoulaye Wade. Il est donc important d’épargner dans l’avenir des vies humaines en clarifiant le débat. En Afrique, dès qu’un pouvoir rentre dans l’impopularité il se braque à des articles de cette nature pour se maintenir artificiellement. C’est la raison pour laquelle il est crucial de clarifier et de verrouiller les règles au moment opportun.
Le mandat du président de l’assemblée nationale que Wade a taillé sur mesure pour pousser Macky Sall à la porte en le fixant à un an doit également être révisé pour le ramener à 5 ans conformément aux dispositions antérieures de la constitution. Dans le Sénégal nouveau, tout le monde doit s’entendre sur le fait que des lois de cette nature ne devraient plus exister car découlant d’une instrumentalisation de la justice à des fins personnelles. Ainsi, cette disposition constitutionnelle doit être réformée et protégée au même titre que les conditions d’éligibilité du président de la république.
Enfin, il est important d’épargner le Sénégal des postes de gaspillage inutiles comme le Conseil économique et social. Dans l’armature institutionnelle du Sénégal beaucoup de têtes pensantes du pays sont peu convaincus de l’apport de cette maison d’enregistrement sur la vie des populations. Jusque-là le Conseil économique et social n’a servi qu’à caser de la clientèle politique; donc une politique de bonne gouvernance ne devrait pouvoir s’accommoder d’une telle finalité.
La réforme de la fonction publique
Il existe actuellement beaucoup d’inconfort dans le pays sur la manière dont les nominations se font à la tête des grandes directions. Même si le président de la république dispose d’un pouvoir discrétionnaire dans ces nominations, il est important que les choix soient plus dictés par des critères de compétence et d’un processus transparent de sélection à l’issu duquel on peut présumer que la personne choisie est la plus indiquée pour gérer la chose publique. Donc si la bonne gouvernance n’est pas démontrée dans la manière de choisir nos gouvernants les inquiétudes ne feront que s’accentuer. À cet effet, je constate d’ailleurs que dans beaucoup de pays où la bonne gouvernance fait son chemin, les postes sont affichés sur le site Internet de l’institution qui recrute et les chances sont données à tous les citoyens de pouvoir présenter leur candidature sur la base d’un processus transparent mis en place. Par contre au Sénégal, les sites Internet de plusieurs Ministères ne sont même pas mis à jour régulièrement et on a du mal à être renseigné sur les activités courantes des ministères. Quant aux opportunités de recrutement n’en parlons même pas. Dans le monde numérique d’aujourd’hui, l’information utile des citoyens en termes de reddition de compte et de création d’opportunités est un pilier incontournable de la bonne gouvernance et j’espère que le gouvernement de Macky Sall apportera une amélioration significative à cet effet.
La réforme de la politique de jeunesse
Le sous-emploi des jeunes représente un domaine dans lequel il est primordial d’avoir des idées novatrices en phase avec l’évolution des méthodes en pratique dans plusieurs pays du monde. De ce point de vue, une proposition intéressante serait d’appliquer des politiques de subvention salariale comme cela se fait pour les nouveaux immigrants reçus du Québec. L’État peut à cet effet prévoir un budget qui subventionne entre 30 et 40 % des salaires des jeunes pour leur premier emploi pendant une période allant de 6 mois à un an. Cela réduit la charge salariale pour l’employeur qui profite de l’incitatif pour recruter les jeunes. Les jeunes diplômés y sortiront avec une expérience de travail, et très souvent si leur travail est concluant cela peut pousser l’employeur à recruter pour le long terme. Cette politique peut également s’accompagner de la création de Centres locaux d’emplois dotés d’un budget pour financer des formations spécifiques plus proches de la demande des entreprises et du renforcement de la capacité des jeunes à la recherche de l’emploi.
La réforme de l’éducation
Dans ce domaine également nous avons besoin d’un peu plus de créativité. Le gouvernement doit investir davantage dans les filières de formation professionnelle plus proche de la demande du marché. Pour ce faire, une politique incitative devrait débuter dans les lycées pour rendre plus attractif les filières scientifiques, mais en même temps il est crucial diversifier l’offre de formation dans les filières littéraires souvent destinées à la seule profession de l’enseignement.
Dans les facultés, une innovation consisterait à mettre en place des bourses d’excellence plus consistantes pour les meilleurs étudiants dans toutes les facultés pour renforcer l’émergence des talents. Il faudrait aussi penser à créer des bourses de recherche sur un modèle de partenariat public-privé pour que la recherche soit source d’innovation dans l’entreprise et dans la société. En outre le de désengorgement l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar doit être une priorité en raison du niveau de concentration humaine très élevée dans cette institution publique, ce qui réduit la qualité de la formation et les conditions de vie des étudiants. Sur ce point, l’annonce de la construction d’une nouvelle université dans la banlieue de Dakar va dans la bonne direction.
Par ailleurs, dans chacun des ministères, des fonds dédiés à la recherche-développement devraient voir le jour pour mieux éclairer les décisions des ministères en partenariat avec les chercheurs universitaires. Il est donc temps qu’on se sépare définitivement du tout politique et laisser un peu de place à la science dans l’action publique.
Dans un univers de compétitivité des universités, la publication d’articles scientifiques par les professeurs doit être fortement soutenue et il est primordial d’avoir des politiques cohérentes à cet effet. Les articles scientifiques qui en découleront rehausseront la notoriété de nos universités et valoriseront les travaux des chercheurs.
C’est donc en partant d’un ensemble de réformes claires, incitatives et non limitatives à un sujet qu’on encrera durablement la bonne gouvernance au Sénégal. J’ai choisi de ne pas parler de la gouvernance financière telle qu’elle existe dans l’actualité pour mettre le doigt sur le fait qu’une politique de bonne gouvernance se doit être multiforme et intégrer plusieurs dimensions de durabilité, si elle se donne pour ambition de satisfaire la demande sociale. Ainsi, ce chantier étant ouvert, il est très important qu’on n’en ait une vision stratégique plus large.
Ibrahima Gassama, Montréal
Économiste du développement durable
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