Reportage. Une journée en prison

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Comme le Père Noël qui se présente avec sa hotte remplie de cadeaux, le cinéma a franchi les portes de la prison de Yopougon (Côte d’Ivoire) pour offrir aux pensionnaires de la Maison d’Arrêt et de Correction d’Abidjan (Maca) un florilège d’images, piquées d’humanité pour réchauffer le cœur de ceux qui vivent dans l’isolement. Pour la troisième fois, le Festival International du Court métrage (Fica) projetait des films dans l’enceinte de la MACA.

De hauts murs. A leurs pieds quelque arpent de terre grillagé pour contenir toute fuite. La Maison d’Arrêt et de Correction d’Abidjan (Maca) se présente telle une forteresse qui dissuaderait tout monte-en- l’air sauf qu’en novembre 2004, environ 4 000 prisonniers ont profité des troubles violents qui agitaient Abidjan pour s’évader, en empruntant les égoûts et la forêt voisine avec, comme le soulignait la presse ivoirienne, la complicité des gardes pénitentiaires. Depuis, seule une vingtaine de détenus ont réussi à s’échapper en mars 2005 par le même chemin, que la presse a baptisé « métro Abidjan cadeau ». Les estimations lors de sa construction dans les années 1970 prévoyaient une population carcérale de 1500 personnes. Le 23 avril 2010, lors de la projection de films suivie de déjeuner avec 300 pensionnaires, la population de la prison se chiffrait à 5310 personnes selon les indications livrées par le régisseur Yao Kouassi Patrice qui ne cache pas que le délabrement et la surpopulation font que la Maca a une triste réputation.

Il faut quitter la route et quelque centaine de mètres plus loin pour se retrouver face à l’immense portail au fronton délavé par le soleil et les eaux de pluie. Le terrain est coincé entre le vaste quartier périphérique de Yopougon et l’ancien parc national du Banco, face à la cité des gardes pénitentiaires de Yopougon-Andokoi. Il y a tout juste un an que les 2500 habitants qui y vivent ont eu accès à l’électricité. Il a fallu 28 ans pour que la cité retrouve la lumière du soir et ne dort plus à la même heure que les prisonniers faute d’éclairage.

La lourde porte s’entrouvre pour laisser passer les festivaliers. Premier poste de contrôle d’identité. La lourde porte donne sur une cour séparée de la seconde enceinte qui s’ouvre sur la grande cour. Mais il aura fallu passer par un sas et rejoindre la grande salle qui fait office de foyer, de chapelle où dans quelques heures se déroulera la projection des films « Sauver Rama » du burkinabé Tahirou Tasséré Ouédraogo, « La métamorphose du Manioc » du camerounais Lionel Méta et les dessins animés de l’ivoirien Hermann Nganza. Dans la cour, mille paires d’yeux scrutent les visiteurs aux Tee Shirts immaculés, frappés de l’effigie du Festival international du court métrage d’Abidjan (Fica). La salle qui comporte une nef peut accueillir une triple centaine de personnes. Pour la circonstance, les travées étaient envahies. Point de chahut ni de désordre et pour éviter tout risque de voir disparaître un portable ou un porte monnaie, la discipline exigeait une séparation qui respecte la proximité.

Dés l’entame de la cérémonie, la directrice du Fica Annie Tchelley-Etibou explique que si le Fica qui est une biennale vient depuis 2006 à la Maca, ce n’est pas pour faire genre ou mode mais c’est par humanisme. Elle ajoute : « En venant à la Maca, c’est pour vous dire que vous n’êtes pas des sous hommes, ni des sous femmes. La Maca, n’est qu’une étape de votre vie mais jamais la fin d’une vie. L’essentiel, quand on tombe très bas, c’est de se relever. Là est l’important. Dehors il y a des gens qui pensent à vous, qui attendent que vous sortiez, que vous vous réinsériez dans la société ivoirienne parce que vous y avez votre place. Il faut le croire car nous sommes ensemble et ne vous découragez pas. C’est pour cela que nous sommes avec vous pour partager ensemble un moment de rêve et de bonheur ». Salve d’applaudissements pour des mots qui font chaud au coeur. Prolongeant quelque peu la pensée de Annie Tchelley, le régisseur de la Maca a tenu à dire : « Tous, ceux qui sont en détention ici, ont encore du prix aux yeux de toute la société. Ils sont en prison mais ils ne sont pas bannis de la société. Pour nous c’est important de vous voir ici. C’est un apport extrêmement important rien que de venir transposer à la prison des activités qui se passent à l’extérieur ».

Quelques jours avant l’ouverture du Fica, les responsables de l’administration pénitentiaire avaient visionné un certain nombre de films en compétition ou hors compétition pour n’en retenir que deux en plus de films d’animation afin de détendre l’ambiance. « La métamorphose du manioc », grand prix du Fica 2010 raconte l’histoire de Coco, un Camerounais conducteur de taxi qui prend dans son véhicule une jolie femme à qui il fait la cour. Mais celle-ci parait absente. Mélancolique, elle regarde les rues de la ville qu’elle quitte… un film qui a remporté le grand prix, les prix de la meilleure comédienne et du meilleur comédien. « Sauver Rama » met en scène une paysanne venue en ville soigner sa fille et qui se retrouve dans un dédale d’hypocrisie et d’indifférence. La simplicité quasi naïve du film a touché surtout le cœur des détenus. Le rire de l’enfance retrouvée a été déclenché par les films d’animation dans lesquels le sage au look boy disco ne se laisse pas conter.

Une journée en prison qui se termine par un gueuleton. Et comme le dit un prisonnier édenté par la mal bouffe avec presque les larmes aux yeux :« Cela fait du bien de manger un poulet, voici cinq ans que je n’en connaissais plus le goût. »

TEMOIGNAGE

« Mon souhait, c’est de ne pas nous oublier totalement »

Il se dégage de la voix de Rachelle, détenue à la Maca, une douceur qui perturbe. Femme cultivée, raisonnée dans ses propos, on peine à comprendre ce qui l’a envoyée en prison. Par pudeur, je ne le lui ai pas demandé pour m’intéresser à son esprit critique après la projection des films « Sauver Rama », « la métamorphose du manioc » et la série de films d’animation « Kiproko le sage ».

Votre sentiment sur les films que nous venons de voir ?

Rachelle : Le premier film, « Sauver Rama » est un film qui fait pitié parce que ça montre les réalités de la vie, le manque de solidarité face aux problèmes de son prochain. Ils profitent des moments de faiblesse, des moments où l’autre est dans le malheur pour profiter de lui. Le film doit interpeller les personnes qui ont une mauvaise opinion des prisonniers car à tout moment de sa vie, on peut se retrouver en prison. La mère de Rama n’avait jamais imaginé dans sa vie, commettre un meurtre. Mais voilà que face à une certaine situation, à un moment donné, elle a été atteinte dans son amour propre. Elle s’est sentie grugée, insultée, bafouée dans sa dignité de femme. Alors, elle a essayé de se défendre et ce qui devait arriver arriva. C’est pour dire que les gens ne doivent pas juger mal les prisonniers même s’il est vrai qu’il y a des personnes qui s’adonnent au banditisme et qui font le mal de leur propre gré et se retrouvent en prison. Mais, ce n’est pas tout le monde.

Qu’est ce que cela vous procure de voir le cinéma entrer en prison ?

Voir venir des gens ça apporte du réconfort, un changement au niveau moral. Le rejet, la solitude sont oubliés un instant. Les films et votre présence nous permettent de penser à autre chose. Avec cette visite, c’est comme si on voyait ce qui se passe à l’extérieur. Le cinéma nous pousse à voyager mentalement dans les autres pays. Les films en milieu carcéral, c’est une très bonne chose. Mais ce que je n’aime pas, ce sont des films de violence. Quand, j’étais jeune, oui ! Mais, depuis que je suis arrivée en prison et les raisons qui m’y ont amenée, je ne supporte plus les films de violence. Je préfère des films qui parlent de la culture africaine, du développement. Ces genres de films qui éduquent plutôt que ces films qui cultivent la violence et les crimes passionnels qui n’apportent rien de positif à l’être humain.

La journée est terminée. Une fois dans vos cellules, est ce que cela ne vous rendra pas plus triste à cause du vide laissé par les visiteurs ?

Oui c’est vrai. Mais, mon souhait, c’est de ne pas nous oublier totalement.

« Il y a eu du rire dans la salle, c’est important »

Yao Patrice est le régisseur de la Maca. Homme svelte, il est loin d’avoir la carrure des caïds qui sont derrière les barreaux, ni le regard méchant. Plutôt avenant.

Que peuvent apporter ces projections à vos pensionnaires ?

Cela leur rappelle qu’ils ne sont pas oubliés des autres. Ceci est important. Tout le monde a entendu parler du Fica. Dire que le Fica est venu en prison cela veut dire que les détenus ont du prix aux yeux de tous ceux qui sont à l’extérieur. Je garde de cette projection quelque chose de très beau et d’amusant. A un moment donné, il y a eu du rire dans la salle, cela veut dire qu’on a oublié un temps soit peu la prison et ça c’est important dans la vie d’un détenu.

Quel changement, le fait de ramener du rêve en prison a apporté depuis le début de cette collaboration ?

Aujourd’hui, on a avancé un peu plus. Vous voyez que tout le monde était détendu, donc je crois que par rapport aux éditions précédentes tout le monde a tenu compte des observations et remarques. Les films sont de bonnes qualités. Il y a des gags qui ont fait rire tout le monde et ça a détendu tout le monde.

Les 5310 détenus n’ont pas tous assisté à la projection, comment a été fait le choix des spectateurs ?

Bon ! Nous avons donné l’information. Vous voyez qu’il n y a pas eu de carton d’invitation, ni de restriction. Vous savez aussi, ce qui attire la foule. Tout le monde ne peut pas être présent. Il y a des gens qui se disent : « Bon le cinéma hein…. » Il faut que je vous dise que dans le cadre des instructions que nous avons reçu d’humaniser notre prison vous trouverez des gens qui ont des DVD, qu’ils font passer souvent des films. Tout le monde ne pouvait pas venir non plus mais la salle était comble et jusque dans les travées.

Baba DIOP

lagazette.sn

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