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Sciences et Technologies au Sénégal, analyse d’un phénomène inquiétant qui nuit à notre développement économique (Par Dr Assane Ndieguene)

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Aujourd’hui, omniprésentes dans notre vie, les sciences et technologies constituent un facteur clé pour notre développement économique et social. Les pays les plus puissants économiquement du monde sont les pays qui ont une dépense intérieure de recherche et développement (DIRD) la plus élevée en matière de sciences pour innover davantage et améliorer les technologies existantes. La preuve est visible dans la figure 1 qui montre exclusivement l’évolution des DIRD de certaines puissances mondiales entre 2000 et 2018 [1].

Figure 1 : Dépense intérieure de recherche et développement (DIRD) de certaines puissances mondiales entre 2000 et 2018
   En analysant la figure 1, nous pouvons voir que la DIRD de la chine, future première puissance économique mondiale, a été multipliée par 10 en 10 ans. Le résultat est sans appel car actuellement en matière d’innovation, la chine occupe le premier rang au niveau des pays qui ont déposé un brevet au niveau du système international des brevets de l’organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI).
   En 2019, 265 800 demandes de brevets ont été reçues [2] à l’OMPI et les pays les plus puissants économiquement occupaient les premières places comme nous pouvons s’en apercevoir dans la figure 2. Parmi les demandes, la chine en comptait 58 990, les États-Unis 57 840, le Japon 52 660, l’Allemagne 19 353, le Brésil 644, la Thaïlande 146, le Maroc 34 et le Sénégal qui est l’un des pays les plus sous-développés du monde n’en comptait que 4. Comme le Sénégal, les autres pays de l’Afrique noire ne sont pas épargnés par cette situation. Cette dernière observation démontre clairement le lien étroit qui existe entre sciences et technologies et développement économique.

Figure 2 : Dépôts de brevets internationaux par pays d’origine à l’OMPI en 2019
   Nous sonnons une première alerte ici à savoir que le gouffre qui existe entre les pays développés et les pays sous-développés en matière de développement des sciences et technologies est entrain de tendre tout simplement vers l’infini. Ce qui veut dire tout simplement que nous avons quasiment perdu la bataille des sciences et technologies et que nous sommes malheureusement voués à consommer plutôt qu’à innover et construire notre futur par nous-même. 
   Une autre inquiétude a été soulevée tout récemment (décembre 2020) en ces termes par la plus haute autorité du Sénégal lors de la cérémonie ’’Prix Macky Sall pour la promotion des sciences et de la technologie’’ : « Un prix pour la recherche en Afrique, n’est pas un acte de prestige mais une nécessité de premier ordre. Parce que malgré nos efforts, le soutien à cette activité de recherche qui est une activité essentielle au progrès de l’humanité, reste encore insuffisant dans nos pays ». Nous sommes d’accord sur l’insuffisance des efforts qui sont faits par nos gouvernants pour la promotion des sciences et technologies mais le pire est que les chiffres de la figure 2 nous montrent plutôt que les efforts fournis sont insignifiants comparés aux grandes puissances de ce monde. Cela veut aussi dire que le cheminement, la méthodologie et les programmes qui sont mis en place depuis des décennies ne fonctionnent pas du tout.
   Et pourtant, nos frères du Rwanda, avec le président Paul Kagamé, ont pu mener en peu de temps une révolution scientifique qui a permis de sortir petit à petit leur pays du gouffre. Le Rwanda a même reçu en 2018 le prestigieux prix de l’innovation technologique en Afrique pour leur engagement à la construction d’une économie basée sur la promotion de l’innovation et la technologie. Comme pour les grandes puissances économiques à leur début, le Rwanda a su prendre le taureau par les cornes en résolvant le problème de l’éducation et donc du savoir qui est à la base des sciences et technologies. En plus de cela, le gouvernement rwandais a eu la bonne idée de lancer avec son ministère des TIC, des plans quinquennaux qui avaient respectivement pour objectif de créer dans un premier temps (2000-2005) un environnement favorable aux initiatives dans les TIC, ensuite la mise en place d’Infrastructures de base des TIC avec la fibre optique comme support de transfert des données (2005-2010) et enfin l’introduction plus rapide de services permettant l’exploitation des nouvelles technologies (2010-2015). Avec cette méthode, presque tous les secteurs au Rwanda se sont accaparés des sciences et technologies qui sont devenues force motrice de la construction de l’économie de la nation rwandaise. En guise d’espoir et de modèle de comparaison, nous faisons remarquer que le Sénégal a mis en place la stratégie « Sénégal numérique 2016-2025 » qui entend se servir des TIC comme levier pour l’essor des secteurs porteurs de son économie comme l’agriculture, l’agrobusiness, l’habitat social, les industries minières, le tourisme et les télécommunications. Cela dit, le problème reste le même à la base car notre système éducatif n’est clairement pas adapté à l’essor des sciences et technologies.
   Au Sénégal, les problèmes liés à l’éducation sont innombrables. Parmi eux, il y’en a un qui a attiré notre attention, à savoir le sérieux déséquilibre qui existe entre les formations littéraires et scientifiques. En plus de ce déséquilibre, le nombre d’élèves formés dans les domaines scientifiques ne stagne pas mais continue plutôt de diminuer d’année en année excepté entre 2018 et 2019. Pour nous convaincre de ces constats, nous avons analysé les statistiques de l’office du baccalauréat du Sénégal sur une décennie (entre 2010 et 2020). Pour faire simple, nous avons transféré toutes filières non scientifiques dans les filières littéraires. Les figures 3 et 4 représentent respectivement le pourcentage des élèves inscrits dans les filières scientifiques et littéraires ainsi que le nombre total de candidats inscrits au baccalauréat pour la période citée ci-dessus.

Figure 3 : Statistique des inscrits au baccalauréat entre 2010 et 2020 au Sénégal
   Les résultats de la figure 3 nous montrent que l’écart entre les filières littéraires et scientifiques est passé de 48.8% à 67.2% entre 2010 et 2020. Entre cette même période, le nombre total de candidats inscrit au baccalauréat (figure 4) n’a cessé d’augmenter excepté en 2019 (155551 candidats) et en 2020 (155109 candidats) contre 158334 candidats en 2018.

Figure 4 : Nombre total de candidats inscrits au baccalauréat entre 2010 et 2020 au Sénégal
   Ce qui veut dire que, plus les années passent, plus le nombre de candidats inscrits dans les séries littéraires augmente plus rapidement que le nombre de candidats inscrits dans les séries scientifiques. La promotion des sciences et des technologies passe inévitablement par la résolution de ce déséquilibre entre filières scientifiques et littéraires. Alerte, nous sommes en 2020 et le nombre de candidats inscrits au baccalauréat sénégalais dans les filières littéraires est de 83.6 % contre 16.4 % pour les filières scientifiques. À titre de comparaison, la France, 6ième puissance mondiale, a eu un taux d’inscrits au baccalauréat en 2020 de 47.5 % dans les filières scientifiques et technologiques contre 27.5 % dans les filières professionnels et 25 % d’inscrit dans les filières littéraires, économiques et sociales [3]. Comme quoi, pour aspirer à un développement des sciences et technologies, il est primordial d’agir maintenant afin d’inverser cette tendance qui malheureusement va continuer de s’accentuer au moins à court terme. Ironie du sort, ce faible pourcentage de scientifiques doit-être revu à la baisse au-delà du baccalauréat car une partie des candidats admis ne poursuit pas toujours leurs études dans les domaines scientifiques par faute de moyens ou les jugeant trop théoriques en général. Certains finissent même par migrer vers les domaines littéraires.


   Le défi est d’autant plus grand que la population du Sénégal et de l’Afrique en général est la plus jeune au monde. La preuve est visible dans la pyramide des âges du Sénégal de 2018 (figure 5) représentée ci-dessous. Elle nous montre que près de 54% de la population sénégalaise a moins de 20 ans. De ce fait, il faut s’attendre à une forte augmentation des candidats inscrits au baccalauréat à long terme. Pour dire qu’avec cette jeune génération à venir, la tendance doit être absolument inversée avant que l’on atteigne un point de non retour en terme de déséquilibre entre filière scientifique et littéraire.

Figure 5 : Pyramide des âges du Sénégal 2018
   Dans cet article, il a été question d’analyser et d’alerter l’opinion sur la gravité de la situation du Sénégal en matière de développement des sciences et technologies. Elle nous a permis de situer le gouffre qui existe entre les puissances économiques mondiales et le Sénégal en matière d’Innovation reflétant clairement notre rang de pays sous développé. Cette étude a aussi permis de mettre en évidence le déséquilibre qui existe entre les filières scientifiques et les filières littéraires. Ce problème qui est relié à l’éducation doit être résolu à court terme au risque d’atteindre un point de non-retour.
   À la sortie de cette analyse, nous nous sommes posé plusieurs questions fondamentales comme par exemple : pourquoi les séries scientifiques sont-elles délaissées au profit des séries littéraires ? Quelles solutions devrait-on mettre en place pour changer cette tendance? Sommes-nous dans un environnement propice qui permet un développement et un épanouissement des sciences et technologies au Sénégal? Le financement de la recherche et développement est-il adapté? Et tant d’autres questions que nous tenterons de répondre lors de nos prochains articles sur les sciences et technologies au Sénégal.

Dr Assane Ndieguene
Ingénieur R&D en photonique, packaging et MEMS

[1] https://sciencebusiness.net/international-news/chinas-historic-rise-science-and-tech-stirs-criticism
[2]https://www.wipo.int/export/sites/www/pressroom/en/documents/pr_2020_848_annexes.pdf#annex1
[3] file:///C:/Users/ASSANE~1/AppData/Local/Temp/ni-20-25-69791_0-2.pdf

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