Tu as professé durant trente longues années, tu as formé des ministres, des DG, des médecins, des magistrats, de grands enseignants. Tu as tout donné pour que
ton pays relève le pari de l’éducation. Tu es parti en 2021 dans l’anonymat, sans autre patrimoine que le savoir, avec comme seul réconfort l’amour de ta famille
et de tes collègues. Notre nation est si ingrate, notre Etat si arbitraire ! Tu n’as jamais été reçu au Palais pour couronner une quelconque perfidie envers tes
collègues et amis. Aucune trahison, tienne, n’a été honorée au Palais par une enveloppe remplie des deniers publics. Tu es sous la terre, nous sur la terre, mais
quelle différence finalement ? Tu en avais certainement assez de vivre dans un pays qui récompense les pestilences morales et sanctionne les astres de la
probité. Ta mort n’est finalement pas une mort, c’est plutôt un congé. Si comme disait ton ami, Schopenhauer, ce monde est tellement rempli d’hypocrites et de
visages désagréables qu’il comprend que certains préfèrent se retrancher dans les hôtels pour ne pas avoir à rencontrer de si « laides » silhouettes, comment un
homme pur comme toi pourrait-il résister à l’envie du Congé.
La dernière fois qu’on s’est vus, tu ficelais un projet culturel pour ressusciter le goût de la lecture et des débats dans notre pays. Tes desseins n’ont pas été
réalisés parce que tu es fils d’un pays qui n’aime pas la science. Ce pays qui préfère honorer les indignes et autres traîtres ne mérite peut-être pas le
dévouement d’un homme aussi digne que tu l’as été. Tu es mort en donnant la science, tu as été utilisé de façon ininterrompue, grillé comme douille et confié à
Nécropole sans aucune forme de reconnaissance. Tu m’as confié ton inquiétude pour le pays, la façon dont les politiques rusent avec la bonne moralité de notre
peuple. Tu m’as confié que la politique commençait néanmoins à te tenter par devoir d’assistance à ton peuple. Un enseignant qui ne triche pas est un enseignant à la santé fragile, mais tout le monde semble ne rien comprendre. Tu travaillais sans relâche, négligeant même parfois ta vie de famille, mais la société déprécie ta dévotion. Pendant les vacances tu languissais de l’école, ta véritable société, ton Etat, ta patrie. Ah cher ami que ce monde est cruel !
Je ne suis pas triste, rassure-toi, je suis rarement triste, je suis plutôt gai. Gai de savoir que seule la dignité est pérenne, tout le reste n’est que chimère et sombre
vanité ; gai de voir que notre profession est d’une noblesse telle que seuls les gens du paradis peuvent l’embrasser avec autant d’amour ; gai de savoir que
cette société, si injuste soit-elle, ne pourra jamais nous prendre le bonheur que nous donne les apprenants. Ça doit d’ailleurs t’amuser de voir, du fond de ta tombe, l’étendue de leurs frivolités, la superficialité de leurs mensonges, la nullité de leurs combines mesquines pour uniquement confisquer les ressources du peuple. De ta tombe tu souris, non par sadisme, mais par étonnement : comment tout un peuple peut faire preuve d’une si grande candeur?
Alassane K. KITANE
Ta mort vaut mille fois leur piètre vie éloge de l’enseignant martyr (ParAlassane K. KITANE)
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