Ce pays n’habite ni le ventre des volcans ni la revanche des fous
ce pays n’est point un camion en panne que l’on pousse dans la boue
Dieu porte notre pays dans Ses Promesses et le rubis de Sa Parole
Pourtant
à force de nudités à force de cris la grâce meurt un dimanche soir
Alors pour que Dieu dorme longtemps avec nous
pour que l’orage ne révèle pas nos iguanes
avant que des termitières ne naissent des reptiles aux yeux de sang gelé
avant que la mer ne se refuse à la mer
avant que la nuit n’ait besoin de nageoires pour regagner l’aube
avant que Pikine ne réveille ses loups ne lève ses essaims
pour que la Médina garde la promesse des mosquées
avant que Colobane ne délaisse les yeux de Linguère Ramatou
avant que «le Vert le Jaune étoilé et le Rouge» ne déserte l’honneur
pour que Gorée demeure la mémoire d’une seule offense
pour que Diakhao et le Sine ne baissent jamais
les yeux devant Coumba Ndoffène Diouf
que Joal garde les vérandas de Sédar
pour que Fatick laisse un fils étoilé dans la génuflexion de la postérité
je voudrais vous dire
pour que la pirogue reste la pirogue le fleuve le fleuve
pour que le phare fidélise le sommet des Mamelles
pour que la patrie dise la patrie le khalam le khalam
pour que la mosquée repose le poids de nos épaules
et que l’église soit le havre de l’offrande
je voudrais vous dire
à vous notre jeunesse de soleil et de bras abondants
à vous autres que l’âge a donné à boire toute la mémoire des
lanternes et éclairé tous les boulevards de nos doutes
à ce peuple à tête de sourates et de psaumes
ce peuple de foi glaneur de paix et de prières gorgées de lait
ce peuple aux mêmes paupières veines contre veines
je voudrais vous dire
au nom de mon pays tant aimé et de ses lettres d’or
au nom de ses archives pourpres et glorieuses
au nom de notre têtu amour de vivre ensemble
vous dire à vous qui avez foré tant d’horizons
permis tant de jours de mil tant de jours de riz
semé tant de prières fertiles et odorantes
vous dire pour que les colères ne fermentent
à vous tous qui avez choisi d’aimer et d’habiter ce pays de chant fraternel
vous dire que rien n’est fini si on sait parler à la paille avant le feu
vous dire que l’histoire n’a pas séché son encre
reste seulement à savoir quelle page ajouter aux livres des vivants
quelle page retrancher de l’oreiller des morts
quelle page espérer demain des chants des poètes
quand sur bien des tombes auront fleuri champs de piments ou jujubiers en sucre
et que nos fils auront courtisé la bouche de l’histoire
Pour un jour le Sénégal peut avoir peur
mais jamais il ne périra tant qu’il restera quelque part un bout de ciel
un lambeau de minaret le mirage d’une croix le baiser tendre de ses fils
Mes respects et mes vœux à vous tous de mon peuple pluvieux et béni
ceux qui ont prié et ceux qui sont las de prier
ceux qui ont fait de l’Hymne et du Drapeau et de la Nation leur
lit leur drap leur oreiller
ceux qui ne peuvent plus dormir avec leur corps la nuit avec leur conscience le jour
ceux qui ont mangé et ceux qui rusent d’avoir mangé pour ne pas déshabiller leur dignité
ceux qui croient que la terre est ronde que leur chance arrive qu’elle fait le tour
ceux qui prennent la vie comme elle vient tel l’arbre qui attend sa saison pour fleurir
puissions-nous tous ensemble main à main cœur à cœur pardon contre pardon
porter ample et sonore ce nom si beau de SENEGAL
ce pays bleu où les prières rendent la foudre musicale
l’aimer et le veiller contre un dernier grain
le servir de la terre au ciel le front haut et dans L’HUMILITÉ de nos saints
Amadou Lamine Sall
poète
Lauréat des Grands Prix de l’Académie française