La si… tranquille conscience du juge Ndary Diop (Par Madiambal Diagne)

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Après avoir rendu, le 17 juin 2021, un verdict particulièrement sévère, me condamnant pour diffamation à une peine d’emprisonnement ferme de 3 mois, le juge Ndary Diop, président de la 1ère Chambre correctionnelle du Tribunal de grande instance de Dakar, s’est précipité, le jeudi 24 juin 2021, pour aller à l’émission «Yoon wi», animée par El Hadj Assane Guèye, sur la Radio futurs médias (Rfm), pour justifier sa sentence. La démarche est inédite. Jamais de mémoire de prétoire on n’a vu un juge aller devant les médias pour expliquer lui-même le bien-fondé de son verdict. C’est comme si quelque chose démangeait le juge Diop, au point qu’il ne pouvait se retenir de commettre ce qui est un sacrilège absolu dans les annales judiciaires. Maurice Druon disait que «la conscience est un tribunal qui casse vite ses sentences».
Il n’est assurément pas besoin d’avoir des notions de psychanalyse pour se convaincre qu’un sérieux problème de conscience habite le juge. Lui-même n’a jamais eu à faire un tel exercice et il n’a jamais vu un de ses collègues magistrats le faire. Quelle cacophonie si les juges devaient faire des points de presse après avoir rendu leurs délibérés, comme le font les sportifs après un match âprement disputé !
Le juge Diop a mis un turban d’imam pour arranger une invitation à une radio, sous prétexte de parler de religion. Personne ne s’y trompe. Cette invitation si inédite, si opportune pour ne pas dire si opportuniste, a été suscitée, démarchée, pour s’offrir une tribune pour répondre à Madiambal Diagne ou pour, disons-le carrément, soulager sa conscience. Le verdict rendu en première instance dans l’affaire m’opposant au magistrat Souleymane Téliko a créé un gros malaise au Palais de justice. La sévérité de la peine infligée traduit une volonté de s’acharner contre un impertinent journaliste qui a dévoilé des faits irréfutables qui éclaboussent la justice ; les circonstances dans lesquelles le procès s’était déroulé révèlent un gros déséquilibre et surtout montrent à la face du monde que le procès n’a été ni juste ni équitable. Il s’était agi d’une décision corporatiste, pour sauver la face à leur collègue magistrat, de surcroît président de l’Union des magistrats sénégalais (Ums). Dans ce procès, les preuves déposées sur la table du Tribunal n’ont pas compté et ne sauraient être prises en considération. Les nullités absolues de la procédure soulevées par les conseils Me Baboucar Cissé et Me Abdou Dialy Kane ne sauraient non plus être considérées. Le Tribunal tenait à entrer en voie de condamnation, à tout prix. On a poussé le ridicule jusqu’à considérer que la seule preuve qui pourrait être pertinente serait de sortir un document signé de l’Union européenne alors que j’ai fourni un rapport officiel qui décrit parfaitement les faits évoqués, qui m’ont valu d’être traduit en justice. On ne peut pas ne pas en rire. A titre d’exemple, si un journaliste écrivait que Monsieur X avait été pris pour ivresse au volant, en sortant de l’hôtel Terrou-Bi de Dakar et qu’il s’avère, dans les débats devant la barre, que la personne mise en cause était certes ivre au volant, mais sortait plutôt du Radisson Blu, faudrait-il pour cela condamner le journaliste pour avoir parlé du Terrou-Bi au lieu du Radisson Blu ? Ou encore, un journaliste qui donne l’information qu’un détournement de fonds publics a été commis, invoquant un rapport de l’Inspection générale d’Etat (Ige) alors que les faits avaient été débusqués par un rapport de la Cour des comptes par exemple, est-ce pour autant que les faits de prévarication de deniers publics n’existeraient-ils plus ?

Quand le juge se justifie
Le magistrat, interrogé à la radio sur l’affaire qu’il a jugée une semaine auparavant, jour pour jour, a répondu : «Je ne veux parler de ce dossier puisque c’est moi qui ai jugé cette affaire. Mais s’il (Ndlr : Madiambal Diagne) estime, comme toute personne du reste, que la décision n’est pas fondée en droit, il peut faire appel. Je ne suis pas la personne habilitée pour dire qu’il y a une solidarité de corps, mais ce qui est sûr est que la décision est motivée. S’ils ont le jugement, ils sauront qu’il s’agit d’une décision fondée sur la solidarité de corps ou non. Toute personne doit avoir un comportement républicain, de surcroît, si vous avez une certaine responsabilité ou un certain statut, il y a certains propos que vous ne devez même pas tenir. Pour ce dossier comme pour un autre, je ne fais pas de distinguo sur les personnes qui sont à la barre, car je ne juge que les faits. On ne peut pas être à la radio ou avoir un journal et écrire des choses malintentionnées (sic) sur une personne, pour ensuite refuser d’être jugé. Ce n’est pas possible. Il faut être respectueux envers son prochain.» On voit bien qu’il n’était pas besoin de tenir un simulacre de procès, car la religion du juge était déjà faite quant à la culpabilité du prévenu.
Il reste qu’on ne peut pas ne pas rétorquer au juge Diop que je ne refuse pas d’être jugé. C’est justement pour cela que je n’avais pas usé de mon droit de demande en récusation des magistrats membres de l’organisation corporatiste que dirige la partie civile. Je le lui avais d’ailleurs précisé devant la barre de son Tribunal. Ou bien le juge Ndary Diop considèrerait-il qu’accepter d’être jugé serait accepter d’être coupable à tous les coups ? Je n’ai demandé rien d’autre qu’un procès juste et équitable et, malheureusement, il suffit de lire les comptes rendus des médias pour se faire une opinion parfaite des manquements. Quand il arrivait au prévenu d’élever la voix pour répondre à des attaques outrancières, il était systématiquement menacé de poursuites pour troubles à l’audience, tandis que l’autre partie était dans ses aises. Est-ce que le juge Ndary Diop, qui parle du respect dû à son prochain, a essayé une seule fois d’arrêter ou a cherché à sermonner Souleymane Téliko qui se déchainait devant la barre pour m’attaquer copieusement et m’accuser faussement de viol sur une fille mineure et d’escroquerie ? Il est aussi à noter qu’on ait semblé rechigner à accéder à ma demande de faire mentionner de tels propos sur le plumitif d’audience, d’autant que j’entends donner une suite judiciaire à de telles déclarations de Souleymane Téliko. Il avait fallu, avant la fin du procès, qu’à ma demande insistante, mon conseil Me Baboucar Cissé formulât à nouveau ladite demande. On attend d’ailleurs de recevoir l’extrait du plumitif, dont la demande a déjà été faite au niveau du greffe du Tribunal, pour savoir si cette mention a été effective. De toute façon, tous les comptes rendus d’audience des médias ont pu relayer de tels propos pour lesquels d’ailleurs le ministre de la Justice est déjà saisi d’une demande d’autorisation pour poursuites pénales devant la Cour suprême contre le magistrat Souleymane Téliko. En outre, le juge Diop suggère de faire appel. C’est enfoncer une porte ouverte, pour parler de manière triviale. L’appel du jugement a été formulé dès le lendemain même et tous les médias ont déjà donné cette information. Donc, Ndary Diop ne peut ignorer cela. Le juge dit que sa décision est motivée ? Bien sûr ! La question est de savoir si la motivation est bonne, pertinente ou pas du tout. Il ne saurait exister une décision de justice qui ne serait pas bien ou mal motivée ; à moins qu’on ne soit retourné au temps de «la lettre de cachet».

Les vaines menaces du juge Diop contre ma personne après le procès
Cette affaire semble avoir fait perdre sa sérénité au juge Ndary Diop. Tenez-vous bien : il n’a pas hésité à appeler mon conseil Me Baboucar Cissé, le vendredi 18 juin 2021, pour lui indiquer que si Madiambal Diagne continue de parler du verdict, qu’il allait porter plainte pour on ne sait quel motif. C’était suite à mon intervention à l’émission «Soir d’Info» de la Tfm du jeudi 17 juin 2021, animée par Mme Bineta Diallo. Me Cissé n’a pas manqué de lui souligner que ce serait la «meilleure preuve de l’acharnement de magistrats contre Madiambal Diagne» et qu’en tout état de cause, il s’en référerait à son client. Pour ma part, j’ai indiqué à mon avocat, qui m’a transmis le message, que Ndary Diop n’avait qu’à faire pleuvoir des pierres si tant est qu’il est le Bon Dieu. Ainsi, je n’ai pas hésité à reprendre ma plume pour narrer les circonstances du procès dans l’édition du journal Le Quotidien du lundi 21 juin 2021. Je refuse d’être comme le loup de Alfred de Vigny, qui «refermant ses grands yeux, meurt sans jeter un cri (…)» ou qui «souffre et meurt sans parler».
Ndary Diop s’est-il ravisé sur sa plainte ? Qu’importe, mais il a trouvé le moyen d’arranger une émission radio pour parler d’un dossier de justice dont il a connaissance. Or l’éthique professionnelle exige du magistrat de n’évoquer, ni en public ni en privé, des affaires dont il a pu avoir connaissance de par ses fonctions, même à la fin de celles-ci. C’est justement ces différentes attitudes, toutes inconvenantes, qui devraient interpeller Cheikh Tidiane Coulibaly, Premier président de la Cour suprême, en sa qualité d’Inspecteur général de l’Administration de la justice. Les péripéties de cette affaire exigent nécessairement que son autorité d’Inspecteur général de l’Administration de la justice du Siège s’assure du fonctionnement normal des juridictions et des conditions dans lesquelles des magistrats du Siège ont pu rendre des décisions aussi controversées.

Suspicion légitime contre le Président de la 1ère Chambre correctionnelle
On a vu les «bons» sentiments que le juge Ndary Diop nourrit envers ma personne. Cela devra nous interpeller, car toute décision qu’il aura à l’avenir à rendre contre ma personne ou contre le journal Le Quotidien sera à débat pour ne pas dire suspecte. Une suspicion légitime s’imposera, car il reste évident que ce magistrat pourrait faire «preuve d’inimitié ou d’animosité à notre endroit». En effet, un autre magistrat, Babacar Ngom, président de la Mutuelle de santé des agents de l’Etat (Msae), a cité Mohamed Guèye, journaliste et Directeur de publication du journal Le Quotidien, devant la Chambre correctionnelle, présidée par le juge Ndary Diop. Mohamed Guèye a révélé un rapport d’audit mettant en cause le magistrat Babacar Ngom, rapport sur la base duquel le Conseil d’administration de la Msae a délibéré pour révoquer son président, lequel refuse toujours de quitter ses fonctions. On peut bien se demander si le rapport d’audit, les procès-verbaux de délibération du Conseil d’administration ou les copies de plaintes déposées serviront à sauver la tête du pauvre Mohamed Guèye. A moins que notre sort nous condamnera à celui décrit dans la chanson populaire wolof : «wiri wiri Diary Ndary» (Ndlr : A force de circonvolutions on finit toujours par retourner à la case départ).

Madiambal Diagne

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