Suppression du sénat : radicalisme, réalisme, populisme ou opportunisme ? Par Pr Ndiaga Loum, dpt de sciences sociales, UQO. (Canada)

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Le titre reprend le contenu de plusieurs interpellations ces derniers jours. Ne rejetant a priori aucun des arguments contradictoires avancés par les uns et les autres, je résume ici les réponses que j’ai tenté d’y apporter en épousant volontairement un style qui frise le simplisme. Quand s’affichent des positions de principe, la conceptualisation théorique « déchée » les arguments supplétifs qui virent aux aspérités. Autant donc commencer simplement par rappeler ce qu’on a déjà exprimé ici avant de réagir sur deux autres questions.

 

1. Réaction réaffirmée

 

J’ai publié un article paru ici à la veille de la décision du Président pour suggérer la suppression du Sénat. Le scénario d’une communication de crise pour le Président de la République s’élaborerait ainsi : « Les conséquences dramatiques des récentes inondations appellent des efforts exceptionnels de solidarité, et le chef de l’État doit être le premier à donner l’exemple. Il propose à sa majorité la suppression du Sénat en suggérant que les économies potentiellement engendrées soient totalement réinvesties dans la gestion des conséquences de ces inondations ». Le peuple appréciera. Les alliés et les partisans s’en accommoderont, et tant pis s’ils piquent des crises! Leur bonheur perdu égale au moins les malheurs d’un peuple sous les eaux, qui a cessé de rêver à force de nuits blanches passées à la belle étoile. Des actes concrets de haute portée politique pèsent plus que les logorrhées soporifiques d’un slogan (‘’la patrie prime sur le parti’’) qui n’est à la pensée que ce que le défilé militaire est à la danse.

 

 

2. Est-ce que la suppression du sénat n’est pas une décision radicale? Ne serait-il pas mieux de réformer  cette institution pour garder un parlement bicaméral ?

 

Dans l’absolu,  un argumentaire qui s’appuie  sur une solution intermédiaire, moins radicale, aurait pu tenir le bout. Cela consisterait par exemple à modifier les modes d’élection et de désignation des sénateurs afin de rendre plus démocratique le processus. On pourrait ainsi rompre avec le système actuel qui permet au Président de la République de nommer à lui seul, plus de la moitié des sénateurs, et par ricochet le Président de cette institution qui est dans la Constitution le suppléant désigné du chef de l’État en cas de vacance de pouvoir. Ce n’est pas le moindre des paradoxes de voir dans une démocratie qui se veut exemplaire, un Président de la République nommer des sénateurs, dont son successeur en cas de vacance de pouvoir, et manifester ainsi son incursion volontaire et brusque dans le champ législatif, sans se soucier outre mesure du principe de la séparation des pouvoirs. C’est un système hérité de l’ancien régime (Wade) et qui avait à l’époque soulevé la réprobation générale des opposants qui font partie du pouvoir actuel. On aurait donc pu imaginer une simple réforme qui rendrait plus démocratique le système de désignation des sénateurs qui auraient pu par exemple être tous élus, plutôt que de voir certains d’entre-eux, (la majorité en l’occurrence), nommés par le Chef de l’État.

 

Cependant, le contexte économique et social actuel commande des ruptures radicales dans le simple but de réaliser des économies et de redéfinir les ordres de priorités dans les dépenses publiques. Le sénat n’étant pas une priorité, sa suppression permettant de réaliser des économies, je ne vois pas aujourd’hui un argument valable qui pourrait plaider convenablement et raisonnablement son maintien, fut-il tiré d’un impératif de renforcement de la démocratie. Le caractère bicaméral ou monocaméral d’un parlement n’est  d’ailleurs pas un critère d’appréciation de la qualité d’un régime démocratique. Il y a beaucoup de démocraties qui ne souffrent guère de l’inexistence d’un sénat dans leur dispositif institutionnel interne. En prenant leur exemple, le Sénégal y gagnera plus qu’il n’y perdra. C’est ma conviction. Je me souviens d’ailleurs que dans les années 80 et 90, la question de la suppression du sénat s’était posée en France, pays riche et développé, qui peut se payer le luxe d’une « boulimie » institutionnelle, contrairement à des pays pauvres comme le Sénégal.

 

?3. Les inondations ont-elles servi de prétexte pour retrancher sur le débat – maintien ou abandon du Sénat – qui divisait la classe politique ? Autrement dit, le président serait-il un cynique réaliste qui fait dans le populisme et l’opportunisme ?

 

En politique, il faut savoir saisir les opportunités pour régler des contradictions qui vous empoisonnent la vie en tant que dirigeant. Ce qui est sûr, c’est que la plupart des partis qui ont soutenu le Président Macky Sall étaient prêts  à le suivre s’il maintenait le sénat. C’est ce qui l’a d’ailleurs motivé à fixer la date des  élections sénatoriales en maintenant la même procédure héritée de Wade et pourtant tant décriée. Donc, il y aura beaucoup de mécontents dans son parti et chez ses alliés qui se voyaient déjà sénateurs. Mais Maky est d’un caractère moins têtu, moins téméraire et va-t’en guerre, donc plus humble que Wade. Il est plus sensible aux préoccupations du peuple relayées dans les médias par les organisations de la société civile comme le M23 et le mouvement Y-en-a-marre. En adoptant cette formule, il gère d’une excellente manière une communication de crise qui va sans doute lui attirer la sympathie d’un peuple qui appréciera de voir un Président sensible à ses préoccupations au point de supprimer le sénat dont le maintien était pourtant défendu par ses partisans et alliés. Ses détracteurs vont dire qu’il fait du populisme, mais j’ai le sentiment que le peuple sénégalais est sensible à la mesure qu’il vient de prendre, à sa posture modeste qui rompt avec le style de son prédécesseur. Ses opposants n’auront guère d’écoute plus ample en fustigeant sa décision de supprimer le sénat.

 

4. Faudrait-il pour autant décerner un brevet de satisfecit au Président et dormir sur nos lauriers ?

 

Oui ! Je pense qu’on peut lui exprimer nos satisfactions : « Waw goor dafay dooli fiit ! ». Mais la vigilance républicaine impose qu’on ne dorme point sur nos lauriers. Pourquoi ? La verve de nos réactions et la sévérité de nos diatribes devront suivre le cours que le nouveau régime donnera à ses actions. Le Sénégal a besoin d’une société civile forte et désintéressée surtout lorsque font défaut les mécanismes institutionnels traditionnels de contestation politique. Ce sont dans ces moments d’euphorie qui suivent la victoire que règne le plus grand consensus, salutaire certes pour la pacification des rapports politiques mais mortel pour le débat démocratique. Un pouvoir intelligent ne traite guère les porteurs de contradictions comme des opposants. Le faire, ce serait reprendre les travers du système Wade qui s’inventait ses propres ennemis qui, en s’élargissant, rejoignirent le cercle de ses opposants traditionnels : se forma ainsi un regroupement hétéroclite dont le seul dénominateur commun était l’aversion qu’inspiraient les pratiques de l’ancien Président, afin de porter à ce dernier l’estocade finale, que dis-je, fatale.

 

Pr Ndiaga Loum, dpt de sciences sociales, UQO.

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